Pourquoi il faut investir dans les professionnel·les pour sauver l’ASE

Publié le 1 décembre 2025

En 2024, 404 557 enfants font l’objet d’une mesure d’Aide Sociale à l’Enfance (ASE). Soit 5 500 de plus que l’année précédente. 

Pourtant, malgré les rapports qui s’empilent et les déclarations d’intention, le système défaille et crée de la souffrance. Comment est-ce possible dans un pays aussi développé que la France ? Pourquoi continuons-nous à échouer à protéger nos enfants les plus fragiles ?

La situation en chiffres

Plus de 3 % des mineur·es en France sont aujourd’hui suivi·es par l’Aide sociale à l’enfance. Un chiffre peut sembler anodin, presque “rassurant” à première vue. Mais derrière ce pourcentage, il y a près de 400 000 enfants. Et parmi eux·elles, certains sont séparés de leurs parents dès la maternité. D’autres subissent des maltraitances. Des adolescent·es passent d’un foyer à un autre, sans jamais poser leurs valises. Des fratries sont séparées.

Ces 3% vivent, en moyenne, vingt ans de moins que les autres. Comme si le simple fait d’avoir été confié à l’ASE réduisait leur vie d’une génération. Difficile de rester indifférent à une telle injustice.

Quand 9,8 milliards d’euros ne suffisent pas pour sauver l’ASE

On pourrait penser qu’avec un budget aussi colossal, les choses fonctionnent correctement. Le budget de l’ASE s’élève à 9,8 milliards d’euros, pourtant, l’argent semble disparaître dans un trou noir sans jamais produire les résultats escomptés.

Le problème n’est pas tant le montant mais plutôt la manière dont il est utilisé. L’État et les départements financent des “activités” et des “projets pilotes” centrés sur les enfants, avec l’espoir de réparer le système. Prévenir les sorties sèches, limiter les violences en foyer, etc. Toutes ces initiatives partent d’une bonne intention, mais elles ne visent à résoudre qu’une partie du problème. 

On traite les symptômes plutôt que de s’attaquer à la cause profonde des dysfonctionnements de l’ASE. Et pendant ce temps, les enfants continuent d’affluer et de subir les conséquences d’un système défaillant.

Les professionnels à bout de souffle

La qualité du service dépend directement du bien-être et des conditions de travail des professionnel·les. Comment voulez-vous qu’un·e travailleur·se social·e épuisé·e, débordé·e, sans soutien, puisse offrir l’accompagnement qu’un·e enfant traumatisé·e mérite ?

129 000 professionnel·les de terrain et gestionnaires sont exposé·es en permanence à des situations de violence familiale et institutionnelle. Ces femmes et ces hommes sont la colonne vertébrale du système. Mais personne ne se soucie vraiment d’eux·elles.

Le mode “pompier” devenu routine à l’ASE

Dans son rapport de 2024, le Conseil économique, social et environnemental (CESE) souligne que les services sont embourbés dans un “mode pompier”. Les professionnel·les vont d’urgence en urgence, parent au plus pressé. 

Un quotidien épuisant pour les professionnel·les et désastreux pour les enfants.

Recruter, former, retenir : la triple impasse de l’ASE

On peine à recruter les professionne·les, on peine à les former, on ne les soutient pas. Cette phrase résume le cercle vicieux dans lequel le système de l’aide sociale à l’enfance est enfermé.

Pourquoi quelqu’un choisirait de travailler dans un environnement aussi difficile, sans reconnaissance, sans soutien psychologique, avec une charge de travail écrasante ? Et ceux·celles qui acceptent tiennent combien de temps avant de disparaître ?

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On parle beaucoup des enfants. C’est normal, ils sont au cœur du problème. Mais on oublie souvent ceux·celles qui les accompagnent au quotidien. Des enquêtes récentes révèlent plus d’impuissance, de débordement et de lâcher-prise que de sentiment de contrôle et d’efficacité chez les professionnel·les.

Exercer un métier où vous vous sentez constamment impuissant et dans lequel, malgré tous vos efforts, vous voyez les situations se dégrader mène inévitablement au burn-out.

De la maison à l’ASE : la double peine

Les enfants confié·es constituent la population la plus vulnérable du pays, confronté·es à une perte de sécurité chez eux·elles, puis au sein des institutions.

Ces enfants ont déjà vécu l’enfer à la maison : négligence, maltraitance, violences. Puis ils·elles sont retiré·es de leur foyer, ce qui, même quand c’est nécessaire, représente un traumatisme supplémentaire. Et ensuite ? Ils·elles arrivent dans des institutions censées les protéger, mais qui parfois reproduisent les mêmes schémas de violence et d’abandon.

On les sort d’un environnement toxique pour les placer dans un système qui ne fait qu’ajouter de nouvelles cicatrices.

Pourquoi ça ne change pas ?

La nature même du sujet, la protection d’enfants négligé·es et maltraité·es, est insoutenable et nous rend incapables de penser de manière articulée pour agir avec efficacité. On écrit des rapports, on organise des commissions, mais on n’agit pas vraiment.

Le fossé entre l’État et le terrain

D’un côté l’État, qui finance les départements, organise des états généraux et publie plans et rapports. De l’autre, des départements qui gèrent des flux d’enfants et d’adolescent·es émotionnellement traumatisé·es.

Les décisions se prennent loin des réalités du terrain. L’action de l’ASE est locale par nature. On nous a toujours dit qu’il fallait un village pour élever un enfant. Il en va de même pour le réparer.

Prendre soin de ceux qui prennent soin

Le rapport du CESE met en avant que la sécurité des professionnel·les d’ASE repose sur plusieurs facteurs fragilisés : la santé financière des services, la supervision offerte, la qualité du management, ainsi que la sécurité émotionnelle des cadres eux-mêmes.

Quand tous ces facteurs sont fragilisés, comment s’étonner que le système entier vacille ?

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Investir 720 millions pour économiser 35 milliards

Nous dépensons 9,8 milliards d’euros par an dans la gestion d’un système qui, paradoxalement, nuit aux professionnel·les qui sont son moteur. On finance un système qui s’autodétruit. Ce qui fait défaut, c’est un investissement ciblé dans l’infrastructure humaine.

Allouer 8% supplémentaire au budget actuel, soit 760 millions d’euros, permettrait de réduire les coûts annuels de plus de 35 milliards que représentent les mauvais traitements faits aux enfants. 

Ces millions d’euros seraient spécifiquement dédiés à la stratégie et au soutien des professionnel·les.

La question de la rentabilité ne se pose pas. Il ne s’agit “plus” que de décisions politiques. 

Conclusion

La protection de l’enfance ne peut plus se contenter d’ajustements ponctuels et palliatifs. C’est en investissant dans les professionnel·les et gestionnaires qui portent ce système que nous serons en mesure de bâtir une structure solide et pérenne.

Nous savons ce qui ne va pas. Nous savons comment le réparer. Nous avons même calculé combien ça coûterait et combien ça rapporterait. Alors qu’attendons-nous ?

Plus de 400 000 enfants attendent qu’on arrête de parler et qu’on commence à agir. Ils·elles attendent qu’on investisse dans les professionnel·les qui les accompagnent au quotidien. Ces enfants méritent mieux que des rapports bien ficelés. Ils méritent un système qui fonctionne et qui protège vraiment. Et ça commence par prendre soin de ceux et celles qui prennent soin d’eux·elles.

Cet article est inspiré de la Tribune écrite par Thomas Delawarde-Saïas dans Le Monde :
https://www.lemonde.fr/idees/article/2024/10/28/aide-sociale-a-l-enfance-il-faut-un-investissement-cible-dans-l-infrastructure-humaine_6362535_3232.html


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