Rapport sur les dysfonctionnements de l’aide sociale à l’enfance : notre décryptage

Publié le 26 mai 2025

Le 8 avril 2025, la commission parlementaire, présidée par Laure Miller et rapportée par Isabelle Santiago, a rendu son rapport sur les manquements des politiques publiques de protection de l’enfance. Après un an d’enquête et plus de 60 auditions, le constat est sans appel : le secteur est en crise. Et ce sont les enfants qui en paient le prix. 

Mais au fond, qui en doutait encore ?

Isabelle Santiago, députée engagée de longue date sur ces enjeux, espère que ce travail débouchera, cette fois, vers des réformes concrètes. Car aujourd’hui, ce ne sont pas les constats qui manquent. Ce qui fait défaut, ce sont des actions claires, prioritaires, et enfin mises en œuvre pour résoudre les dysfonctionnements de l’aide sociale à l’enfance.

Chez Kalía, on a lu ce rapport. Pas pour le résumer, mais pour en proposer une lecture critique. Ce qu’on vous partage ici, c’est une lecture basée sur notre expérience auprès des professionnel·le·s de la protection de l’enfance.

92 recommandations : où sont les priorités ?

Le rapport compte pas moins de 92 recommandations. Si leur pertinence n’est pas à remettre en question, leur nombre, lui, pose un vrai défi : celui de la mise en œuvre. Toutes ne pourront pas être déployées simultanément. Dans un secteur saturé, épuisé, où l’urgence est devenue un mode de fonctionnement, poser des priorités n’est pas un luxe, c’est une nécessité stratégique.

Les 92 recommandations sont structurées autour de quatre axes :

  • Rénover la gouvernance de la protection de l’enfance ;
  • Renforcer le repérage et la prévention ;
  • Améliorer la prise en charge des enfants ;
  • Répondre à la crise d’attractivité des métiers.

Mais, par où on commence ?

Doit-on d’abord garantir un vrai accompagnement des jeunes majeurs jusqu’à 25 ans (recommandation n°77) ? Ou commencer par prendre soin des professionnel·le·s, en généralisant supervision et analyse de pratiques (recommandation n°89) ?

Prioriser, ce n’est pas trancher entre ce qui compte et ce qui ne compte pas. C’est donner une boussole à un secteur qui, sans feuille de route claire, risque, une fois de plus, de s’épuiser.

person holding compass

Protéger les enfants, c’est d’abord prendre soin des professionnel·le·s

On ne protège pas un enfant avec une institution fragile.

Ce qu’on observe depuis plusieurs années, notamment à travers le développement de notre démarche Les Matriochkas, c’est que le système tient à bout de bras. Sous-effectifs, recours à l’intérim, turn-over, épuisement physique et moral… Le quotidien devient ingérable.

Les équipes sont épuisées et n’ont plus les moyens humains ni psychiques d’accompagner.

Et quand l’équipe s’épuise, cela fragilise la qualité de l’accompagnement, use l’empathie, affaiblit le lien, et alimente la discontinuité relationnelle. Or, c’est justement cette continuité qui sécurise un enfant placé. Quand les visages changent sans cesse, quand les liens s’effacent avant même d’exister, que reste-t-il ? 

La crise de l’attractivité ? Impossible à résoudre sans repenser le cadre

Parmi les recommandations phares du rapport :

  • Sortir les métiers du social de Parcoursup (recommandation n°84) ;
  • Créer une formation spécialisée dédiée à la protection de l’enfance (recommandation n°85) ;
  • Développer les dispositifs de supervision et d’analyse des pratiques (recommandation n°89).

Ces propositions vont dans le bon sens, mais un élément essentiel manque : la définition d’un cap.

Lors de nos échanges avec les professionnel·le·s de l’ASE, on entend trop souvent : “on travaille en mode pompier”. Quand on est constamment en train de courir après l’urgence, comment prendre du recul ? Comment donner du sens à son travail ?

Certains professionnel·le·s ne savent même plus pourquoi ils et elles se lèvent le matin. Ils savent pour qui (les enfants, les familles), mais plus dans quel cadre, avec quels moyens, ni selon quels objectifs.

Peu importe le secteur, les objectifs sont des piliers. Ils donnent du sens, sécurisent les pratiques, guident les décisions, et surtout, permettent d’éviter le chaos.

💡Ce que propose l’Agence Kalía

Dans le premier acte de la démarche Les Matriochkas, on co-construit avec les services un modèle logique pour (re)poser les objectifs du service. Quels sont les objectifs réels ? Quels seraient les objectifs souhaitables ? Comment les évalue-t-on ? Ce travail de fond, on le mène directement avec les institutions.

Pour aller plus loin, Thomas Delawarde-Saïas a publié un article “Fixer des objectifs, un préalable à toute démarche de prévention“ dans les Cahiers de la puéricultrice 

Mettre en place de nouveaux dispositifs ? Une ambition irréaliste sans transformation préalable

Recommandation n°77 : Accompagner les jeunes majeurs protégés jusqu’à l’âge de vingt-cinq ans, en sortant d’une logique de contractualisation – et en cessant d’utiliser le terme de « contrat jeune majeur » – pour construire un soutien adapté à son degré d’autonomie, dans une logique de suppléance parentale. 

Sur le principe, on ne peut qu’être d’accord. Aujourd’hui, nombreux sont les jeunes qui quittent brutalement l’ASE à 18 ans, sans soutien ni repères. Mais comment étendre l’accompagnement, alors que les professionnel·le·s peinent déjà à assurer un suivi stable jusqu’à 18 ans ?

Dans ce contexte, étendre l’accompagnement jusqu’à 25 ans sans repenser l’organisation du travail ni renforcer les équipes reviendrait à surcharger davantage un système déjà en tension.

Pour rappel, dans sa dernière enquête, l’Uniopss révélait que 97 % des structures du secteur rencontrent des difficultés de recrutement, avec un taux moyen de vacance des postes de 9 %.

Il ne s’agit pas de freiner les ambitions. Mais tant que les métiers de la protection de l’enfance resteront peu attractifs, mal reconnus, et que les professionnel·le·s n’auront ni temps, ni soutien, ni espace pour exercer dans de bonnes conditions, tout élargissement des missions restera théorique.

💡Ce que propose l’Agence Kalía

Toujours dans l’acte 1 des Matriochkas, nous avons conçu une activité spécifique pour renforcer l’attractivité des métiers de l’ASE. L’objectif est de travailler sur quatre leviers essentiels : Attractivité, Rétention, Responsabilité, Risque. Ce travail se matérialise par la création d’une charte des métiers et une charte des responsabilités.

La formation : pansement ou levier de transformation ?

Parmi les recommandations : 

  • Rendre obligatoire une formation continue annuelle thématique des professionnels ; 
  • Renforcer la visibilité des formations continues disponibles à l’échelle d’un territoire ; 
  • Développer les formations continues en encourageant de nouveaux formats – notamment en ligne lorsque le présentiel n’est pas possible – et en renforçant les liens avec le monde de la recherche et universitaire ; 
  • Mettre en place un plan de formation pour les territoires ultramarins afin de leur garantir l’accessibilité des formations continues proposées. 

Former est une chose, mais trop insuffisant pour pouvoir espérer une transformation durable. La formation est un levier, mais elle n’agit pas sur les facteurs institutionnels et structurels en lien avec l’efficacité (manque de ressources, besoin d’une meilleure coordination des services, maltraitance institutionnelle, etc.).

Le problème n’est pas l’absence de formation, mais leur inadéquation. Au cours de nos entretiens avec les professionnels de l’ASE, ces derniers évoquent un catalogue de formation qui n’évolue pas autant que les problématiques sociétales et un contenu pas à jour.

Dans nos échanges, les professionnel·le·s partagent des besoins concrets, parmi eux : 

  • Mieux recueillir la parole de l’enfant
  • Mieux comprendre les besoins des enfants
  • La gestion des thèmes complexes
  • Découvrir de nouvelles approche, telles que l’approche systémique par exemple

Une formation efficace n’est pas un simple transfert de savoirs. Elle doit permettre de réfléchir, se réajuster et créer du lien entre pairs

Et surtout, elle ne peut être isolée du reste : tant que la formation n’est pas intégrée dans une stratégie plus large d’accompagnement, de supervision, de reconnaissance et d’évolution des pratiques collectives, elle ne produira pas l’effet escompté.

Sans soutien managérial ni espace de mise en pratique, la formation devient un pansement posé sur une jambe de bois.

💡Ce que propose l’Agence Kalía

Dans notre démarche “Les Matriochkas” nous proposons aussi de la formation, mais celle-ci intervient seulement après un travail structurel mené avec les directions. Nous proposons :

  • Une formation “Attachement et protection de l’enfance” pour les cadres de l’ASE : deux jours pour revisiter les fondements théoriques et les traduire dans les pratiques actuelles.
  • Une formation “Relation d’aide” pour les cadres, afin d’ajuster leur posture d’encadrement et pour les pros de terrain, pour renforcer la qualité du lien avec les enfants et les familles.

Et face à la violence, on fait quoi ?

Le rapport évoque également l’exposition croissante des professionnel·le·s de l’aide sociale à l’enfance à des situations de violence. Une des situations les plus alarmantes : la prostitution des enfants confiés, estimées à 15 000 victimes selon le Dr Aziz Essadek. Ce chiffre souligne l’ampleur du problème, mais aussi la gravité des situations que les équipes doivent affronter au quotidien.

Des recommandations sont formulées, comme la mise en œuvre de la formation pour mieux repérer, prévenir et accompagner (recommandation n°44). Mais cette réponse reste encore insuffisante si elle ne s’accompagne pas d’un véritable soutien aux professionnel·le·s confronté·e·s à cette violence.

Aujourd’hui, les équipes manquent de protocoles clairs, de référent·e·s formé·e·s, et de soutien institutionnel. 

💡Ce que propose l’Agence Kalía

Nous accompagnons les cadres à créer un protocole de gestion des situations complexes, intégrant la notion de seuil, de responsabilité, de flux et de décision. Et pour soutenir les équipes, nous mettons en place des espaces professionnels de sécurité, où les pairs peuvent échanger et souffler. Cela prend la forme de séances d’intervision.

Conclusion

Ce rapport parlementaire n’est pas une révélation en soi. Mais il confirme, avec gravité et précision, ce que les professionnel·les vivent depuis des années. Oui, la protection de l’enfance est en crise.

Chez Kalía, on pense que ce secteur peut se relever. À condition de poser des actes nets, concrets, cohérents. Et de les poser maintenant.

La première urgence ? Soutenir et sécuriser les professionnel·les. Parce que quand ils vacillent, c’est tout le système qui s’effondre. Sans eux, aucune protection durable. Sans eux, aucune sécurité pour les enfants. Il est temps de reconstruire une chaîne de sécurité, solide, fiable, continue. Un cadre où chacun est soutenu et soutenant. 

Kalía est prête à s’associer aux espaces de pilotage nationaux et locaux pour co-construire les prochaines étapes. Les Matriochkas peuvent être un levier de concrétisation des recommandations du rapport, dans les territoires.


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