État des lieux des bonnes pratiques en protection de l’enfance : comment les départements relèvent le défi de l’attractivité ? 

Publié le 22 septembre 2025

Entre manque de reconnaissance, conditions de travail dégradées et responsabilités de plus en plus lourdes, le secteur de la protection de l’enfance peine à attirer et retenir les professionnel·le·s. Pourtant, loin de subir passivement cette situation, de nombreux départements français ont pris les devants en déployant des initiatives innovantes et concrètes.

Comment ces collectivités territoriales réinventent-elles l’attractivité des métiers de l’Aide Sociale à l’Enfance (ASE) ? Quelles solutions émergent pour répondre aux trois défis majeurs que sont le recrutement, la fidélisation des professionnel·le·s et la valorisation des métiers ? 

La crise de l’attractivité en protection de l’enfance : une situation qui dure depuis trop longtemps

La protection de l’enfance française fait face à une véritable hémorragie de personnel. Les chiffres parlent d’eux-mêmes :

  • 97% des établissement et services de protection de l’enfance rencontrent des difficultés de recrutement
  • 9% des postes demeurent vacants
  • 40% des établissements ont recours à l’intérim pour pallier les manques

Cette situation résulte d’une accumulation de facteurs structurels qui découragent et épuisent les professionnel·le·s en poste.

Au cœur de cette crise, des problématiques récurrentes alimentent un cercle vicieux : le manque de reconnaissance et de visibilité des métiers de l’ASE mine l’attractivité du secteur, tandis que des rémunérations jugées insuffisantes au regard de la difficulté des missions découragent les candidat·e·s potentiel·le·s. Parallèlement, la charge de travail ne cesse de s’alourdir et épuise ceux et celles qui restent. En an, le nombre de mesures d’aide sociale à l’enfance a augmenté d’1,4%, mais le nombre de bras reste le même.

Les assistant·e·s familiaux·ales, éducateurs·rices spécialisé·e·s, cadres de l’ASE… évoluent dans un environnement professionnel exigeant, où chaque décision peut avoir des conséquences majeures sur la vie d’un·e enfant, d’une famille. 

Comment assurer un suivi de qualité quand les équipes sont en sous-effectif chronique et épuisées ? Comment maintenir le lien essentiel avec les enfants quand les départs se multiplient et que la continuité des parcours se brise ? Face à l’urgence de cette situation, certains départements ont choisi de réagir, en mettant en place des dispositifs pour soutenir leurs équipes et attirer de nouveaux professionnel·le·s.

Trois défis à relever

Pour comprendre les enjeux du secteur, il convient d’analyser les trois leviers complémentaires pour renforcer les équipes et améliorer l’attractivité du secteur

Le défi du recrutement : comment attirer de nouveaux·elles professionnel·le·s ?

Attirer de nouveaux professionnel·le·s vers les métiers de la protection de l’enfance ne se résume pas uniquement à des questions financières, bien que la rémunération reste un enjeu central.

La méconnaissance des métiers de la protection de l’enfance par le grand public constitue aussi un frein. Combien de jeunes diplômé·e·s connaissent réellement les missions d’un éducateur spécialisé ou les perspectives d’évolution dans le service ? Cette invisibilité entretient une image parfois négative ou inexacte de ces professions.

Par ailleurs, la formation initiale ne prépare pas toujours suffisamment les futur·e·s professionnel·le·s aux réalités du terrain. L’écart entre les apprentissages théoriques et les situations complexes rencontrées en ASE peut créer un choc qui décourage certain·e·s candidat·e·s dès leurs premiers pas dans le métier.

Valoriser et développer l’attractivité métiers de l’Aide sociale à l’enfance

Rompre avec la crise de l’attractivité commence par transformer l’image des métiers de l’aide sociale à l’enfance. Plusieurs départements ont compris l’importance de changer le regard porté sur leurs métiers en développant des stratégies de communication positives.

Le Val d’Oise illustre cette démarche proactive : son schéma départemental 2023-2028 affiche l’ambition de concevoir et diffuser auprès des collégien·ne·s, des lycéen·ne·s et des personnes en réorientation professionnelle des supports de promotion des métiers. (campagne d’information, vidéos métiers valorisant le sens et l’intérêt des métiers du secteur social)

Dans un registre plus artistique, le Département de La Réunion a organisé une exposition intitulée “L’émotion au cœur de l’action” rassemblant une série de peintures réalisées par les enfants de l’ASE, sur le thème des violences intrafamiliales.

Donner plus de visibilité aux métiers de l’ASE

Si les métiers de la protection de l’enfance peinent à attirer, c’est en grande partie parce qu’ils demeurent méconnus, voire invisibles aux yeux du grand public. Pour inverser cette tendance, plusieurs départements ont choisi d’ouvrir leurs portes et de mieux faire connaître ces professions aux publics cibles.

Certains misent sur la proximité directe avec les jeunes générations. En Seine-Saint-Denis, dans le Val-d’Oise ou les Alpes-Maritimes, la participation active aux forums des métiers dans les écoles de travail social permet de présenter concrètement les réalités du terrain. Ces échanges directs entre professionnel·le·s et futur·e·s diplômé·e·s suscitent l’intérêt, déconstruisant les préjugés et renforcent la visibilité des métiers. Dans le même esprit, la Haute-Garonne organise des réunions d’information dédiées, offrant un espace privilégié pour répondre aux questions et donner envie de s’engager dans cette voie.

D’autres départements vont plus loin encore en investissant dans le numérique. Le Val-d’Oise et le Pas-de-Calais souhaient créer des plateformes en ligne entièrement dédiées aux métiers de l’enfance et aux assistant·e·s familiaux·ales. L’Eure-et-Loire dispose déjà d’un site Internet dédié au métier d’assistant·e familial·e, sur lequel les internautes trouvent des réponses aux questions sur le métier en lui-même, la formation, le diplôme, le logement, ou encore les qualités requises pour devenir assistant·e familial·e.

Le défi de la fidélisation : comment maintenir l’engagement ?

Recruter est une chose, donner envie de rester en est une autre. Dans un secteur comme la protection de l’enfance, cela suppose d’affronter l’épuisement professionnel. Burn-out, fatigue émotionnelle, anxiété… sont autant de réalités qui fragilisent les équipes et menacent la continuité de l’accompagnement. 

À cela s’ajoute la surcharge de travail, résultat du manque de personnel. Moins de bras pour le même nombre d’enfants, c’est plus de pression pour ceux et celles qui sont encore sur le terrain. Ce cercle vicieux alimente les départs et accentue la crise.

La fidélisation repose aussi sur le sentiment d’appartenance. Lorsque les professionnel·le·s se sentent reconnu·e·s, soutenu·e·s et intégré·e·s à une équipe, ils·elles trouvent la force de tenir malgré les difficultés quotidiennes.

Améliorer les conditions de travail

L’amélioration concrète des conditions de travail passe prioritairement par la lutte contre l’épuisement professionnel, devenu une réalité trop courante dans les services d’ASE. Pour répondre à cette urgence, certains territoires ont instauré un véritable droit au répit pour les assistant·e·s familiaux·iales, leur permettant de souffler et de préserver leur équilibre personnel et professionnel.

Au-delà du répit, l’amélioration passe aussi par des mesures concrètes d’équipement et de modernisation des outils de travail. Par exemple, en Seine-Saint-Denis et en Gironde, souhaitent doter leurs équipes d’ordinateurs et de téléphones de service.

Renforcer le sentiment d’appartenance

La fidélité à l’institution repose sur le lien et la reconnaissance. Plusieurs départements ont ainsi déployé des initiatives pour renforcer le sentiment d’appartenance. Certains organisent des journées annuelles spécifiquement dédiées aux professionnel·le·s de l’ASE, comme en Charente, à Paris ou en Seine-Saint-Denis. Ces événements représentent des espaces privilégiés de valorisation où les équipes peuvent partager leurs expériences, valoriser leurs réussites et se sentir reconnues.

D’autres départements misent sur le développement d’une marque employeur (Seine-Maritime) ou la création de réseaux d’ambassadeurs·rices métiers (Eure-et-Loir). Ces actions donnent aux professionnel·le·s une voix, une identité commune et le sentiment d’appartenir à une mission.

Une démarche particulièrement innovante mérite d’être soulignée : la Charente et le Lot-et-Garonne ont fait le choix de créer des groupes de travail ou des consultations internes impliquant directement les professionnel·le·s dans l’élaboration du schéma départemental. Être associé·e à l’élaboration des orientations stratégiques renforce considérablement leur place au sein de l’institution et constitue une manière concrète de reconnaître leur expertise tout en leur redonnant du pouvoir d’agir sur leur environnement professionnel.

Le défi de la valorisation : comment redonner du sens et offrir de la reconnaissance ?

La valorisation des métiers de l’ASE dépasse la seule question du salaire, bien que cette dimension reste centrale. Elle englobe aussi la reconnaissance et le développement des compétences.

Le défi de la valorisation : comment redonner du sens et offrir de la reconnaissance ?

La formation constitue un levier stratégique pour maintenir et développer l’attractivité des métiers de la protection de l’enfance. Elle répond à la fois aux besoins d’adaptation aux évolutions du secteur et aux attentes des professionnel·le·s en matière de développement de compétences.

Paris illustre cette approche par la création de passerelles permettant aux cadres de l’ASE d’accéder plus facilement à un diplôme universitaire. 

Adapter la formation aux besoins concrets du terrain représente un enjeu majeur souvent négligé. Plusieurs départements, La Charente, l’Isère, la Haute-Marne ou encore le Pas-de-Calais, travaillent activement à développer l’offre de formation et à en faciliter l’accès pour leurs professionnel·le·s. Ces démarches témoignent de la volonté des Départements de rapprocher significativement la formation de la réalité quotidienne des équipes et de répondre aux défis spécifiques rencontrés sur le terrain.

En investissant concrètement dans le développement des compétences de leurs agent·e·s, les départements montrent qu’ils croient en leur potentiel et leur ouvrent des perspectives d’évolution professionnelle attractives. En revanche, la formation n’est un levier seulement si celle-ci est intégrée à une stratégie d’accompagnement plus large d’accompagnement, de supervision, comme le propose le Maine-et-Loire ou encore les Alpes-Maritimes pour leurs assistant·e·s familiaux·iales, de reconnaissance et d’évolution des pratiques collectives. 

Conclusion

Si les initiatives départementales témoignent de leur créativité et de leur engagement, elles révèlent aussi les limites d’une approche purement locale. Certains défis, comme la revalorisation salariale, nécessitent une coordination au niveau national.

L’émergence d’une stratégie nationale coordonnée semble indispensable pour amplifier les effets des bonnes pratiques locales. Le travail engagé par Isabelle Santiago à travers la publication du rapport sur les manquements des politiques publiques de protection de l’enfance montre la voie. Publié en avril 2025, ce rapport formule 92 recommandations articulées autour de 4 axes, dont un spécifiquement sur la réponse à la crise de l’attractivité des métiers.

Comme le souligne Madame la Députée, “Notre République a failli à protéger les plus vulnérables”. Plus de 70% des juges pour enfants déclarent avoir déjà renoncé à prendre des décisions de placement d’enfants en danger faute de solutions.

L’avenir de la protection de l’enfance se dessine aujourd’hui dans les départements pionniers qui osent innover et expérimenter. Leurs initiatives montrent qu’il est possible de redonner de l’attractivité aux métiers de la protection de l’enfance. Le défi maintenant est de passer de l’expérimentation à la généralisation, pour que tous les enfants puissent bénéficier de l’accompagnement de qualité qu’ils méritent.

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