La santé des jeunes, qu’elle soit mentale ou physique, n’est plus seulement un indicateur de bien-être. Elle est le pilier de leur développement, leur apprentissage et de leur épanouissement. Or, cette santé est influencée par un ensemble de facteurs : l’environnement familial, social et économique.
Lors du passage à l’âge adulte, la santé n’est pas toujours la première préoccupation des jeunes. Alors ils prennent les risques, font des expérientations pouvant fragiliser leur santé mentale et physique. Addictions, troubles alimentaires, accidents,… ces comportements ne sont pas sans conséquence pour la santé.
Déjà considérés comme une population vulnérable, cette fragilité est accentuée chez ceux confiés à l’Aide sociale à l’enfance (ASE), dont les parcours de vie sont souvent marqués par la précarité, la maltraitance, ou les ruptures familiales. Cette population est loin d’être marginale. En décembre 2022, on comptait plus de 344 000 mesures d’aides sociales à l’enfance [1].
La santé de ces jeunes questionne, mais l’obtention d’informations médicales s’avère compliquée, rendant les données nationales sur leur état de santé rares.
Toutefois, en février 2024, Elodie Guéguen, membre de la cellule d’investigation de Radio France a menée une enquête portant sur la santé fragile des enfants de l’Aide sociale à l’enfance. [2]
Un bilan de santé préoccupant
L’Organisation mondiale de la santé (OMS) affirme que les adultes ayant subi des traumatismes majeurs ou des violences n’ont pas la même espérance de vie que les autres.
Celine Greco, cheffe du service médecine de la douleur et palliative à l’hôpital Necker-Enfants malades à Paris (AP-HP) et présidente de l’association Im’Pactes, révèle que les jeunes victimes de violences pourraient voir leur espérance de vie réduite jusqu’à 20 ans sans intervention précoce.
Cela est principalement due à un risque accrue de développer des maladies cardio-vasculaires, de cancers, d’AVC, des démences, des syndromes dépréssifs, …
Les facteurs aggravants
Quelle que soit sa forme – physiques, sexuelles, psychologiques ou négligences – la maltraitance laisse des séquelles aux jeunes.
En effet, les auteures québécoises de « Effets à court et à long terme de la maltraitance infantile sur le développement de la personne » indiquent que :
des problèmes de santé tels que la malnutrition, des problèmes de vision ou des problèmes bucco-dentaires et certaines maladies chroniques telles que l’asthme, les maladies cardio-respiratoires ou encore le diabète peuvent aussi être causés ou aggravés par la maltraitance et peuvent perdurer jusqu’à l’âge adulte
Au delà des maladies, les traumatismes subis durant l’enfance perturbent également le développement cérébral, affectant la régulation du stress, la perception, les fonctions cognitives, et le langage.
Le coût des soins nécessaires pour un enfant ayant subi de la maltraitance, de l’abus ou de la négligence s’élève en moyenne à 105 000€ au cours de sa vie, et peut atteindre jusqu’à 170 000€ dans certains cas. [4]
Les carences du système de protection de l’enfance
L’enquête d’Elodie Guéguen met en avant les obstacles rencontrés dans l’accès aux soins pour les enfants pris en charge par l’Aide sociale à l’enfance (ASE), soulignant que des besoins essentiels, tels que les soins dentaires ou les examens ophtalmologiques, ne sont pas systématiquement assurés. Plusieurs facteurs compliquent la prise de rendez-vous chez un spécialiste :
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La demande d’autorisation des parents n’est pas toujours évidente
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Il est demandé aux familles d’accueil d’éviter le secteur libéral en raison des tarifs plus élevés
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Les places chez les médecins se font de plus en plus rares
Face à ces défis, certains assistants familiaux se retrouvent à jouer le rôle de médecins, tandis que d’autres assument personnellement les frais médicaux pour garantir le bien-être des enfants.
Des législations pour encadrer les soins médicaux des enfants protégés
La législation française a évolué pour garantir un suivi médical approfondi des enfants sous protection.
La loi du 14 mars 2016 a introduit une évaluation médicale et psychologique pour les enfants protégés, refondue en un bilan de santé et de prévention par la loi de financement de la sécurité sociale (LFSS) de 2020, visant à offrir un suivi médical régulier et coordonné.
Ce bilan vise à identifier les besoins en prévention et soins pour améliorer la santé physique et mentale de l’enfant. La réforme a rendu ce bilan obligatoire dès l’admission de l’enfant dans le système de protection de l’enfance, soulignant son importance dans le suivi de la santé de l’enfant.
Le bilan peut être effectué par un médecin de l’Aide sociale à l’enfance (ASE), de la Protection maternelle et infantile (PMI), ou un médecin libéral, avec la possibilité qu’un infirmier réalise l’évaluation.
En 2020, la Direction générale de la cohésion sociale (DGCS) a dévoilé une enquête mettant en évidence la progression de la mise en oeuvre des bilans de santé à l’entrée des jeunes à l’ASE.
La loi du 7 février 2022, dite loi “Taquet” a renforcé l’exigence d’un suivi médical pour ces jeunes.
Si le graphique ci-dessus montre une évolution positive, l’enquête RadioFrance révèle que l’application de ces mesures est insuffisante puisque 1/3 des départements respectent ces obligations. Il est aussi précisé que seulement 10% des jeunes de l‘ASE auraient un suivi médical effectif.
Adrien Taquet, ex-secrétaire d’État chargé de la protection de l’enfance, est conscient que l’application de la loi est difficile :
Pendant les trois ans et demi pendant lesquels j’ai été secrétaire d’Etat à l’enfance et aux familles, j’ai dû faire 200 ou 300 déplacements. Pas un déplacement où on ne me pointait pas les problème liés à la pédopsychatrie, pointant les délais d’attente d’un an, parfois de 18 mois dans les CMP. Il y a un veritable problème là-dessus. [2]
Des bébés et enfants retenus à l’hôpital
Alors que certains luttent pour accéder à des consultations médicales, d’autres enfants et bébés sont à l’hôpital. Non par besoin de soins médicaux mais par absence de place dans les structures censées les accueillir.
Après une séparation de leurs parents dès la naissance, sur décision judiciaire, les bébés peuvent passer de longues semaines, voire des mois, à l’hôpital. Cette situation est propice au développement du “syndrôme de l’hospitalisme”, dégradant leur santé.
L’hospitalisme a été décrit par le psychiatre américain René A. Spitz en 1945 et peut se définir de la façon suivante :
Altération du développement psychomoteur chez le très jeune enfant, provoquée par un placement prolongé en institution (établissement de cure, hôpital, crèche, etc.) ou par une carence affective grave.
R. Spitz avait observé que les nouveau-nés, séparés de leur mère et privés de figure d’attachement développaient des syndromes dépressifs sévères pouvant aller jusqu’à la mort. Si les conséquences, aujourd’hui, ne sont plus aussi extrêmes qu’à l’époque, le syndrome continue de générer quelques inquiétudes.
Ce n’est pas seulement le sort des bébés. Enfants et adolescents en souffrance psychique subissent aussi de longues attentes hospitalières, or ce n’est pas leur place comme l’explique le Pr. Martin Chalumeau, chef du service de pédiatrie générale à l’hôpital Necker :
Ils vont rester dans les services d’urgences faute de place dans les services de pédiatrie générale. Ils vont aussi rester dans les services de pédiatrie générale faute de place dans les services de pédopsychiatrie. Et ils vont rester dans les services de pédopsychiatrie faute d’établissements adaptés au sein de l’aide sociale à l’enfance.[…] Globalement, tout le système est bouché.
Pour éviter les réactions inappropriés ou violentes, certains jeunes, notamment ceux présentant des troubles du neurodéveloppement, sont sédatés pour éviter la mise en danger des autres personnes occupant le service.
Cette situation n’est pas propre aux hôpitaux, certaines structures d’accueil fournissent aussi des comprimés, types anxiolytiques ou antipsychotique, par exemple. Si pour quelques jeunes ces traitements sont nécessaires pour les aider à trouver le sommeil, par exemple, pour d’autres aucune justification médicale n’explique la prise de ces médicaments.
Les initiative de “PEGASE” et “Santé protégée”
Dans le cadre du programme “PEGASE”, les enfants bénéficient d’un bilan de santé initial standardisé, qui inclut des données anténatales et de santé pré-placement, suivi de 20 bilans de santé réguliers jusqu’à l’âge de 7 ans, enrichis par des évaluations du développement, de la santé mentale et du langage.
Ces bilans périodiques s’alignent sur les examens médicaux obligatoires et utilisent des échelles scientifiquement reconnues pour détecter et ajuster les interventions face aux retards de développement, qu’ils soient moteurs ou psychiques.
Ce sont 2450 enfants de moins de 5 ans relevant de 15 pouponnières qui bénéficient de ce dispositif. [3]
Parallèllement, le dispositif “Santé protégé” s’organise autour de bilans de santé standardisés, avec un premier bilan à l’entrée dans le dispositif de protection puis des bilans d’actualisation annuelle.
Le programme “Santé protégée” met à disposition une plateforme listant les professionnels de santé engagés dans le dispositif, facilitant ainsi l’accès des jeunes à des soins spécialisés (dentaires, ORL, ophtalmologie, etc.) et couvre financièrement certains traitements habituellement non remboursés, tels que ceux en psychologie, psychomotricité, ou ergothérapie.
Le médecin qui effectue le bilan initial de l’enfant, que ce soit un médecin généraliste ou un pédiatre formé et volontaire, peut suivre son parcours de soins. Avec l’autorisation des parents, ce médecin peut également être désigné comme le médecin traitant de l’enfant. Cette approche assure un suivi cohérent et personnalisé des besoins de santé de l’enfant tout au long de son développement.
Le programme “Santé protégé” concerne 6907 enfants et adolescents protégés par une mesure administrative ou judiciaire, à domicile ou dans le cadre d’un accueil, issus des départements de Loire-Atlantique, de la Haute-Vienne, des Pyrénées-Atlantiques et de la Seine Saint Denis ainsi que 692 jeunes pris en charge par la protection judiciaire de la jeunesse en Loire-Atlantique. [3]
Pour en savoir plus sur l’enquête d’Elodie Guéguen, nous vous conseillons ce podcast qui a inspiré la rédaction de cet article : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/secrets-d-info/secrets-d-info-du-samedi-03-fevrier-2024-5460724
Sources :
[1] https://www.onpe.gouv.fr/system/files/publication/fs_prises_en_charge_en_pe_au31dec2022.pdf
[2] La préoccupante santé dans enfants de l’aide sociale : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/secrets-d-info/secrets-d-info-du-samedi-03-fevrier-2024-5460724
[3] La santé des enfants protégés, rapport ONPE – https://onpe.gouv.fr/system/files/publication/ragp_2022_v5_0.pdf
[4] Conti et al., 2021
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